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HAGI, LE CRUYFF DES CARPATES

On avait pour dernier souvenir de Gheorghe Hagi une image le montrant avec la Coupe de l’UEFA glanée en 2000, au crépuscule de sa carrière, sous le maillot de Galatasaray. Depuis, le « Maradona des Carpates », génial milieu de terrain roumain des années 90, a commencé une nouvelle vie d’entraîneur. Il s’est brièvement  installé sur le banc de la sélection roumaine puis de divers clubs turcs et roumains, sans qu’aucune de ces expériences – pour manque de résultats ou incompatibilité d’humeur – n’excède une saison.  Sa plus grande réussite, Hagi la cultive donc actuellement dans la ville de son enfance, à Constanta.

C’est à quelques encablures de cette cité du littoral roumain, à Ovidiu, que l’ancien joueur du Real Madrid et du FC Barcelone a lancé en 2009 – et sur ses deniers personnels – son académie et un club de football, le FC Viitorul. Avec un concept fort, axé sur la formation et le développement des jeunes talents. « L’objectif principal, la stratégie du club, c’est d’investir sur les jeunes, qu’ils s’améliorent et grandissent pour atteindre le haut niveau, explique Gheorghe Hagi, 53 ans aujourd’hui. Nous souhaitons que notre équipe première, et c’est le cas aujourd’hui, soit composée à 70% de joueurs issus de l’académie. »

Johan Cruyff, une certaine idée du football

Quand on lui demande si son projet n’est pas copié sur la Masia du FC Barcelone, l’ancien n°10 des Tricolorii rétorque avoir puisé l’inspiration « dans chacun des clubs où (il est) passé ». Mais le suspense ne dure pas longtemps. Au rayon des entraîneurs qui l’ont le plus influencé, sa réponse fuse : « Cruyff, Cruyff. Ici, c’est le même concept qu’à Barcelone, où il a été mon entraîneur [entre 1994 et 1996]. Quand j’étais petit, j’aimais beaucoup l’idée de jeu des Pays-Bas. En 1970, en 1974, Johan Cruyff était mon idole quand il jouait à l’Ajax et depuis, je crois que les Pays-Bas ont aussi fait un excellent travail avec les enfants, pour former et faire émerger énormément de joueurs. »

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À y regarder de plus près, il y a en effet un peu de ce football total dans le projet développé à Constanta. « Dans le football, il y a la défense et l’attaque. Notre idée, c’est d’abord d’attaquer puis, dans un second temps, de défendre. Offensivement, on joue avec trois systèmes : en 4-3-3, en 4-2-3-1 ou en 3-4-3. Toutes ces options doivent nous permettre d’avoir la possession et d’être efficaces au pressing. Avec la possession, quand on a le ballon, on a le contrôle du match ; on contrôle le rythme, l’intensité. Et quand on perd le ballon, on doit pouvoir le récupérer le plus rapidement possible par le pressing. »

 

Inculqués dès le plus jeune âge aux 200 apprentis footballeurs du centre, ces principes fondamentaux n’ont pas tardés à porter leurs fruits. En moins de dix ans, l’Academia Hagi s’est hissée au rang de meilleur centre de formation de Roumanie, trustant les podiums et s’adjugeant 21 couronnes nationales, toutes catégories d’âge confondues. Les U19 du Viitorul Constanta, huitièmes de finalistes de la Youth League en 2016-17, ont ainsi été sacrés champions de Roumanie à six reprises lors des sept dernières saisons.

Bons élèves, les jeunes pousses sont également choyées par l’encadrement du club. Les 66 meilleurs joueurs (onze par catégories) voient, par exemple, leurs frais de scolarité et leurs équipements pris en charge par le club. Surtout, ils disposent à Ovidiu d’un complexe d’entraînement parmi les plus impressionnants du sud-est de l’Europe où, aux sept terrains d’entraînements – dont deux synthétiques – s’ajoutera bientôt un bâtiment ultramoderne pouvant héberger l’ensemble des footballeurs en formation et qui comptera une piscine ou une salle de cinéma.

La surprise et l’héritier

Mais si le FC Viitorul a acquis sa renommée en Roumanie, c’est avant tout par le biais de son équipe première. Promue en 2012 au sommet de la hiérarchie nationale, en Liga I, l’équipe de Constanta est le prolongement de l’académie ; sous les ordres de Gheorghe Hagi depuis l’été 2014, elle développe donc logiquement ce qui est, de l’avis général, le jeu le plus attractif du pays. Ses passes courtes et ses courses détonnent dans un championnat où la plupart des équipes préfèrent miser sur l’intensité et l’impact physique.

 

Avec à la clé, un titre de champion acquis en mai 2017. Un « miracle » pour Hagi : « Notre but est de rester en première division, de promouvoir de nombreux jeunes joueurs. Si l’on va en play-offs (1) – ce qu’on a fait ces trois dernières saisons –, c’est du bonus. Alors ce titre, c’était une grosse grosse surprise parce que notre équipe était très jeune, avec une moyenne de 21-22 ans. » Et d’ajouter, malicieusement : « On ne vise pas le titre mais, si tu joues bien, si tu as de bonnes inspirations, ça peut arriver. »

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Dans son joli stade de 4500 places – des dimensions modestes, mais en adéquations avec l’attractivité du championnat roumain – depuis lequel on aperçoit la mer Noire, le club a déjà formé de nombreux joueurs prometteurs. Parmi eux, le milieu défensif Tudor Băluţă et l’ailier Denis Drăguş, 19 ans chacun, ont tous deux connu leur première sélection lors du match de Ligue des Nations disputé face à la Serbie en octobre.

Mais celui vers qui se tournent tous les regards est un autre ailier… Son nom ? Ianis Hagi, fils de. En dépit d’une expérience ratée à la Fiorentina entre 2016 et 2018, nombreux sont ceux qui prédisent au jeune homme (20 ans depuis le 22 octobre) un avenir radieux. Devenu, à même pas 17 ans, le plus jeune capitaine de l’histoire du championnat roumain, Ianis Hagi partage avec son paternel le goût pour les dribbles élégants et les buts spectaculaires. Buteur à deux reprises lors de ses trois derniers matchs des Espoirs, sur corner direct puis sur un coup-franc millimétré en lucarne, l’ailier a largement contribué à la qualification de la Roumanie pour le prochain championnat d’Europe de la catégorie, où il devrait être l’un des leaders de son équipe. Lorsque le sélectionneur Cosmin Contra a choisi au printemps dernier de se passer des services de son fils (2), Gheorghe Hagi est monté au créneau dans les médias roumains. Mais il sait que Ianis porte un nom qui suscite beaucoup d’attentes au pays : « Il doit être patient et, petit à petit, il va mûrir. »

Des mots que l’ancien capitaine de la Generatia de Aur (Génération dorée), quart de finaliste du Mondial 94, utilise de nouveau lorsqu’il évoque la relève du football roumain, actuellement en difficulté (3) : « On doit bâtir de meilleurs projets dans le futur, mieux les financer, que le pays soutienne le football. On a de très bonnes générations de jeunes : petit à petit, ça viendra. »

Nous avons jusque-là omis de le préciser, mais Viitorul se traduit en français par « L’Avenir ». Tout un programme pour Gheorghe Hagi.

(1) En Roumanie, comme en Belgique, les six premières équipes de la saison régulière se disputent le titre national sous forme de play-offs. Les huit autres jouent, elles, un play-down pour éviter la relégation.

(2) Ianis Hagi a connu sa première sélection en équipe nationale A face à la Lituanie (3-0) ce 17 novembre.

(3) Aucune équipe roumaine n’est parvenue à se qualifier pour les phases de poules en coupe d’Europe, tandis que la sélection nationale ne s’est plus qualifiée pour une Coupe du monde depuis 1998.

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